« Ça n’arrive pas qu’aux autres et nous sommes en train d’avoir la preuve que ça peut nous arriver aussi ». Ainsi se prononçait  le ministre de l’intérieur Alassane Séidou, au lendemain des attaques essuyées par larmée béninoise de la part de groupes extrémistes violents. Le Bénin a enregistré les premières attaques terroristes contre son armée entre le 30 novembre et le 2 décembre 2021. Des événements qui confirment des craintes exprimées depuis des mois quant à la possibilité de voir les groupes djihadistes descendre vers les pays du Golfe de Guinée comme le Bénin. Ces attaques, si elles persistent auront indubitablement des conséquences insupportables, si rien nest fait pour contrer les assauts des djihadistes.
Les signaux étaient au rouge depuis des mois, même s’il faut reconnaître que les autorités béninoises rassuraient l’opinion nationale et internationale de la surveillance des différentes frontières du Bénin notamment avec ses voisins du Burkina-Faso et du Niger. Jeudi 2 décembre, la menace terroriste qui planait sur le nord du Bénin s’est concrétisée. En effet, les Forces armées béninoises (Fab) ont subi en l’intervalle de 48 heures deux attaques terroristes au nord du pays, a annoncé larmée dans un communiqué lu jeudi à la télévision nationale, l’Ortb. Selon le communiqué lu par le Colonel Didier Ahouanvoedo, porte-parole des forces armées béninoises, la première attaque a eu lieu aux environs du Pont de Mékrou à l’ouest de la commune de Banikoara le mardi 30 novembre 2021 et la seconde à Porga dans la commune de Matéri au nord du pays dans la nuit du mercredi à jeudi 2 décembre. « Des individus armés ont attaqué des forces de défense et de sécurité en surveillance dans la zone frontalière à Banikoara et Porga. Ces terroristes ont été repérés dans la nuit alors qu’ils essayaient de contourner ou de surprendre le dispositif de prévention mis en place », a souligné le porte-parole de l’armée qui en outre, a précisé que « les échanges de tirs nourris ont fait deux morts et quelques blessés dans les rangs des militaires». Du côté des assaillants, l’armée fait état de « deux corps abandonnés, l’un à Banikoara et l’autre à Porga.
L’attaque du 2 décembre à Porga a été attribuée par plusieurs sources sécuritaires à l’un des groupuscules affiliés au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Gsim). « Elle pourrait avoir été commise par des hommes de la katiba Macina, une unité combattante de djihadistes basée à Kompienga, une ville du sud-est du Burkina Faso située à proximité des frontières togolaises et béninoises, estime Kars de Bruijne, chercheur spécialisé sur les conflits au sein de L’institut des relations internationales de Clingendael, aux Pays-Bas, et auteur dun rapport en juin 2021 sur la situation sécuritaire dans le nord du Bénin. Les deux attaques constituent les tout premiers assauts lancés par les djihadistes contre l’armée béninoise, mais la menace n’est pas nouvelle. Depuis 2019, des incursions d’hommes armés se sont multipliées au nord du Bénin et annonçaient déjà l’expansion des groupes terroristes.
Feed-back sur les incursions des djihadistes dans le nord du Bénin
Les alertes sur les  incursions d’hommes armés se sont multipliées ces deux dernières années au Bénin. La première qui s’est révélée à la face du monde remonte au 1er mai 2019, lorsque deux touristes français avaient été enlevés et leur guide béninois tué, dans le parc de la Pendjari, à la frontière avec le Burkina. Il s’agit dun épisode très médiatisé, qui a créé d’émoi tant au plan national qu’à l’international. Avant cet enlèvement, Promédiation, une Ong de médiation et de négociation dans les conflits armés, dans une étude Intitulée Nord des pays du Golfe de Guinée : La nouvelle frontière des groupes djihadistes ? indiquait que les autorités béninoises avaient reçu des signalements d’individus « suspects » passant du Niger au Burkina en traversant le fleuve et le parc du W au Bénin. Les groupes d’individus observés étaient, selon des témoignages transmis aux forces de sécurité, des hommes armés qui semblaient connaître la zone. Ladite étude menée en octobre, novembre et décembre 2020 ainsi qu’en mars 2021 dans le nord du Bénin, l’est et le sud-ouest du Burkina Faso et le nord de la Côte D’ivoire renseigne que d’autres mouvements suspects ont été signalés à proximité et dans les deux parcs nationaux du W et de la Pendjari après l’attaque du 1er mai 2019. Le plus « spectaculaire », qui aurait secoué les autorités, a eu lieu au mois de juin 2020.
En effet, une équipe de rangers African Parks Network en mission dans le parc du W le 9 juin croise, sur la piste principale, douze hommes enturbannés et armés de kalachnikov, avec comme moyen de déplacement six motos et possédants d’autres équipements tels que des talkies-walkies, de radio  devant leur permettre de vivre en brousse. Selon les témoignages des rangers rapportés par Promédiation, ils parlaient arabe, haoussa et un seul parlait français. Ces hommes armés cherchaient leur route et auraient affirmé qu’ils n’avaient aucun problème avec le Bénin et qu’ils ne faisaient que passer. Immédiatement alertée, la direction de l’ONG a pris des mesures défensives et a informé les autorités, qui ont tenté de repérer le convoi sans réussir à l’intercepter. Durant deux jours, les douze hommes, après être sorti du parc du W ont traversé la route nationale (RN2) qui relie Kandi à Malanville (et mène au Niger) et ont pris la direction du Nigeria. Ils ont ainsi été vus à proximité de plusieurs villages ou hameaux des communes de Malanville et de Segbana. Cette incursion aux yeux des spécialistes rappelle la faiblesse du dispositif sécuritaire béninois et l’impréparation des forces de sécurité à faire face à une éventuelle attaque. Plusieurs manquements ont été observés durant cette épisode : une mobilisation lente des forces de sécurité, des moyens de communication et de transport défaillants, et surtout l’absence de moyens aériens propres à larmée et une force de frappe insuffisante. Des incursions en petit nombre ont  été repérées dans plusieurs localités du nord Bénin. A Tanguiéta par exemple, des hommes suspects viennent régulièrement se faire soigner à l’hôpital Saint-Jean de Dieu, réputé dans toute la région pour la qualité de ses soins. D’après les informations de Promédiation, des présumés djihadistes recherchés au Burkina Faso y ont été vus en septembre 2020, avant d’être arrêtés.
L’hôtel du point triple attaqué, des militaires béninois impuissants nargués
L’hôtel du Point Triple est situé à la frontière entre le Bénin, le Niger et le Burkina Faso. L’infrastructure selon les enquêtes de Promédiation a été la cible dune attaque des « militants » équipés d’armes, le 14 février 2021. Des hommes armés ont attaqué l’hôtel, lont pillé et saccagé. Le propriétaire s’est échappé in extremis. Les forces armées béninoises ont alors adopté une posture défensive à l’extérieur du complexe hôtelier. Les militants radicaux ont fini par quitter les lieux plus tard dans la nuit, avant de revenir le 17 février pour incendier l’hôtel et proférer des menaces à l’encontre des militaires béninois postés non loin. Plusieurs mouvements suspects sont observés de façons régulières vers la zone des trois frontières entre le Burkina, le Niger et le Bénin. En juillet 2020, un groupe venant du parc a notamment été aperçu vers Bongnami, un village situé dans l’arrondissement de Monsey (commune de Karimama). Des individus qualifiés de suspects, enturbannés, armés et vêtus d’uniformes militaires avaient déjà été aperçus par des habitants de la zone dans cet arrondissement en février 2019, à hauteur de Tilawa, un village frontalier situé au confluent de la rivière Mekrou et du fleuve Niger. Des pêcheurs d’un village situé en territoire béninois, dans le même arrondissement de Monsey, ont notamment affirmé avoir vu des hommes armés se déplacer à motos et se diriger vers le Niger. Ils parlaient zerma, haoussa et français, selon eux rapporte Promédiation.
A en croire un représentant de la communauté peule dans le département de l’Alibori, d’après la même source, les informations qui parviennent aux autorités sont loin d’être exhaustives: « Les éleveurs nous disent qu’ils en voient régulièrement. Mais ils ne le disent pas toujours. On voit bien qu’ils ne sont pas d’ici et qu’ils ne font que passer. D’ailleurs ils le disent à ceux qu’ils croisent ». En effet, les problèmes liés à la sécurisation des frontières se posent avec acuité dans la zone de Monsey, prise en étau entre le fleuve Niger et le parc du W. La localité à en croire Promédiation « est très enclavée et très mal desservie. Il faut plusieurs heures de pistes pour rejoindre Monsey depuis la route nationale 2 en saison des pluies, ces pistes sont quasiment impraticables et une grande partie de la zone est inondée. Par ailleurs, le réseau téléphonique béninois ne passe pas partout : la plupart des habitants sont joignables via le réseau téléphonique nigérien. Les policiers présents sur place disposent de peu de moyens pour se déplacer et communiquer. Tous ces ingrédients font de Monsey une zone d’intérêt pour des groupes armés qui voudraient y transiter, voire sy installer ». Des éléments qui renseignent que les autorités béninoises ont minimisé à un moment le risque des activités terroristes.
Des djihadistes qui nourrissent des envies de s’installer dans le nord du Bénin
Dans son document d’enquête de 65 pages, Promédiation révèle que de récentes informations laissent entrevoir une présence plus permanente des groupes armés djihadistes dans le Nord du Bénin, et plus particulièrement de la katiba Usman Dan Fodio, affiliée à l’État islamique au grand Sahara (Eigs), et dirigée par un certain Abdullah, un Béninois yorouba né à la frontière bénino-nigériane. L’homme se serait rendu au Mali en 2012 avec des éléments de Boko Haram puis a intégré le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de L’ouest (Mujao) et la police islamique de Gao commandée par Abdul Hakim (actuel chef de l’Eigs dans le Gourma). Abdullah et Aly Lankoande, un jeune gourmanche originaire de la région de l’Est du Bénin, auraient participé aux combats contre les forces maliennes et françaises à Gao et dans l’Adrar de Ifoghas. Ensemble, ils dirigeraient la katiba Usman Dan Fodio qui opère dans la zone du Parc W et constitue la zone opérationnelle 5 de l’Eigs poursuit Promédition. Cette zone constituerait essentiellement une zone de repli. La présence de l’Eigs est notamment suspectée dans la commune de Karimama : à Gorouberi, Mamassi Peulh, Karimama centre, Bogo-Bogo, Garbey, Koara et Kompanti. Dans la commune de Malanville, proche de Karimama, la présence de l’Eigs aurait été détectée au niveau de la localité de Wollo Château. Le chef de cette zone se ferait appeler « Monsieur Shangania ».
Un autre rapport publié le jeudi 10 juin 2021 par Clingendael, un think tank néerlandais avait livré une analyse inquiétante de la situation sécuritaire des régions septentrionales du Bénin. Ledit rapport converge pratiquement dans la même direction que celui de Promédiation sauf que celui-ci renseigne qu’il y a au moins cinq cellules djihadistes qui opèrent dans le nord du Bénin. Kars de Bruijne, l’auteur principal du texte, souligne que lOng Acled (Armed Conflict Location & Event Data Project) a travaillé, à partir du mois de mars 2020, avec une organisation locale dont le nom na pas été divulgué pour obtenir des données. Dans son texte, Clingendael insiste sur le fait qu’il n’y a « pas de signe d’installation permanente » de groupes armés, mais ajoute que certains « parcourent régulièrement les trois provinces du nord du pays, Alibori, Atacora et Borgou, disposent de moyens logistiques et ont développé des liens avec des individus au Bénin ». En ligne de mire, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Gsim), qui a pris le contrôle dune partie du parc du W du côté burkinabè de la frontière après en avoir chassé les membres de l’État islamique au grand Sahara (Eigs). L’influence du Gsim au Bénin est « considérable », selon les auteurs du rapport : « Au Bénin, le Gsim est actuellement en quête de ravitaillement pour sa base arrière de Pama », au Burkina. Achat et vol de carburant, de nourriture, et même, « depuis mars 2021, augmentation des incidents armés entre le groupe et African Parc Network ».
Nécessité d’une veille permanente pour l’armée béninoise
Avec les premières attaques de larmée béninoise par des groupes armés dans le nord du Bénin, il est aisé de comprendre que les autorités du pays prennent plus au sérieux la menace terroriste. En témoigne les propos du Chef de l’État béninois, qui lors de son discours sur l’État des la nation, le mercredi 28 décembre 2021 a évoqué deux défis majeurs à relever dont celui de la sécurité du territoire. «mus par notre nouvel état d’esprit, nous serons, à l’avenir, encore plus déterminés et plus vigilants » a déclaré Patrice Talon qui poursuit en indiquant que « Ces faits (attaques terroristes), au-delà de troubler notre quiétude, nous rappellent davantage notre obligation collective de préserver l’intégrité du territoire, l’unité nationale, la concorde et l’harmonie qui nous caractérisent, malgré les désaccords sporadiques inhérents à la vie en communauté ». Des annonces ont été d’ailleurs faites. Le numéro 1 des béninois rassure que « le Gouvernement prend déjà des mesures fortes et poursuivra les investissements nécessaires pour que notre dispositif soit renforcé en moyens tant humains, logistiques que technologiques, afin que ce genre d’incursion sur notre territoire ne puisse continuer. Vous l’aurez compris, les capacités opérationnelles de nos Forces de défense et de sécurité seront considérablement renforcées. Les moyens leur seront donnés à suffisance pour leur permettre d’assurer la protection optimale du pays tout entier, de sorte que, même dans leurs propres rangs, il n’y ait pas d’autres victimes a conclu Patrice Talon ».
Le gouvernement a tout intérêt de concrétiser ses annonces puisque les incursions des groupes armés dans le nord du Bénin contrarient par exemple les plans de l’exécutif béninois, de placer les parcs naturels du pays sur la carte d’un tourisme de safaris à forte valeur ajoutée. En effet, ces groupes n’ont pas besoin de contrôler tout un territoire pour exercer leur pouvoir de nuisance et impacter les fragiles équilibres locaux. L’épineuse question de la porosité des frontières du Bénin et l’occupation des zones enclavées telles que Bongnami, un village situé dans l’arrondissement de Monsey, commune de Karimama sont autant d’éléments par les pouvoirs publics. En outre, les mesures étatiques ne permettront pas de lutter contre expansion des terroristes si elles ne sont pas accompagnées de mesures sociales et économiques visant à résoudre les conflits liés à l’utilisation de la terre, et notamment l’exploitation des zones boisées, à pacifier les relations entre les différentes communautés et à donner un réel pouvoir aux populations locales pour quelles jouent un rôle dans la résolution de leurs problèmes.

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