Un éléphant en divagation dans l’arrondissement de Sonsoro, commune de Kandi, a été tué mardi 26 avril 2021 par des agents des eaux et forêts. L’image du pachyderme, ensanglanté et sans vie, exhibé comme un trophée a fait le tour des réseaux sociaux. Et pourtant, il s’agit d’une espèce intégralement protégée au Bénin. Cet acte qui selon les commanditaires vise à mettre la population à l’abri des menaces de l’animal suscite une indignation dans le rang de plusieurs responsables d’organisation non gouvernementales spécialisées dans le domaine de la conservation de la biodiversité.
La solution trouvée par l’Inspection forestière du Département de l’Alibori pour mettre fin à  la terreur qu’à semé un éléphant dans la commune de Kandi est l’abattage. L’animal, d’après un communiqué de Africain Parc Network (Apn), rendu public le jeudi 29 avril aurait causé tragiquement la mort de trois (03) personnes et plusieurs autres blessées. « En raison de la grande et persistante menace que représentait l’éléphant pour les populations locales et de la difficulté à le canaliser et le retourner dans son habitat naturel le plus tôt possible, les autorités compétentes ont pris la décision de l’abattage » renseignait le communiqué signé par le directeur du parc national W, Christophe Lemée. Selon le chef de l’arrondissement de Sonsosro, l’animal a été neutralisé avec l’appui des équipes du Centre nationale de gestion de réserve de faune (Cénagref). « Avec les dégâts que l’éléphant a causé, nous avons mis les grands moyens pour le chercher. Avec des aéronefs, on ne le trouvait pas. Finalement les populations l’ont vu et l’ont signalé aux services forestiers qui avec l’appui du Cénagref l’ont abattu » a raconté Sanni Barro.
A y voir de près, l’on constate que dans ce processus d’abattage de l’animal, les différentes autorités compétentes à savoir le préfet, le Cénagref, l’inspection forestière et African Parks Network ont tous été impliquées dans l’opération afin de stopper l’animal dans ses dérives. Le communiqué de l’Apn renseigne que tout a été fait conformément aux dispositions de la loi n° 2002-16 du 18 octobre 2004 portant régime de la faune en République du Bénin, en son article 40 relatif à la défense des personnes et des biens. Cette mesure, à en croire Christophe Lemée, était l’option la plus judicieuse pour rétablir la sécurité dans la zone et prévenir tout risque supplémentaire pour les communautés locales. Parlant de cette mesure exceptionnelle, l’article 40 de la loi portant régime de faune souligne : « Dans les cas où des animaux sauvages constituent un danger, le ministre chargé de la faune peut, par mesure temporaire et exceptionnelle, en autoriser la poursuite ou la destruction, après enquête sur place, par l’administration chargée de la faune. Toutefois, en cas d’extrême urgence et de nécessité impérieuse, les préfets de département peuvent, sur avis motivé de l’administration chargée de la faune, autoriser la battue administrative à charge pour eux d’en informer dans un bref délai les ministres chargés de la faune et de l’administration territoriale ».
La loi a prévue certes l’abattage d’animaux sauvages constituant un danger mais plusieurs citoyens béninois se demandent s’il n’avait pas autres moyens pour canaliser l’éléphant surtout le gouvernement béninois a confié en 2017 la gestion du parc à African Parks, une structure de haut standing ayant à son actif la gestion 15 parcs et régions protégées dans 9 pays d’Afrique.
Les récriminations des responsables d’Ong
Ils sont plusieurs défenseurs de la biodiversité qui pensent que l’abattage d’un éléphant par les agents des eaux et forêts est une décision inappropriée, vu qu’il s’agit d’un animal menacé d’extinction. En effet, le Bénin a fait l’option depuis plusieurs années de conserver l’éléphant en l’inscrivant à l’annexe 1 des espèces intégralement protégées par la loi sur la faune. S’il est une espèce faunique au Bénin qui à la fois, suscite un grand intérêt éco touristique et mobilise le plus de moyen pour sa protection, c’est bien l’éléphant. L’ampleur des ressources financières consacrée à la protection de cette espèce a une origine d’envergure régionale, qui date des années 80 au cours desquelles les populations d’éléphants d’Afrique ont été décimées sur une grande partie du continent pour diverses raisons essentiellement liées au braconnage.
C’est d’ailleurs ce qui justifie les mécontentements qui sont observés çà et là. Tout en présentant ses condoléances aux familles éplorées, les responsables de l’Organisation non gouvernementale ‘’Monde Actions durables’’à travers un communiqué en date du 30 avril 2021 ont exprimé leur affliction face à cette solution ultime qui selon eux porte atteinte à une espèce en voie de disparition. « L’éléphant, animal emblématique de l’Afrique est une espèce toujours en voie de disparition, or c’est un animal qui permet de maintenir les écosystèmes. Il est un indicateur écologique de la santé. Il revêt aussi une importance socioculturelle » peut-on lire sur ledit communiqué qui invite les autorités béninoises à des solutions d’anticipation en vue d’éviter à l’avenir un recours à la solution extrême.
A l’image de l’Ong ‘’Monde Actions durables’’, le directeur de Nature tropicale Ong a aussi condamné l’abattage de l’éléphant en parlant d’une solution simple et facile. « Nous appelons ça une solution viandée. C’est la viande qui intéresse les gens. Quel que soit ce qui se passe, même quand un éléphant devient dangereux, on peut l’endormi. C’est comme ça que ça se passe dans les autres pays » a confié à DbNews Joséa Dossou Bodjrènou. Les images qui ont circulé sur les réseaux sociaux à propos de cet éléphant abattu  ont irrité plusieurs autres personnes.
C’est le cas de Dénis Sagbohan, membre de l’association Jeune écolo, qui se dit choqué par des vidéos qui montraient le partage de la viande de l’animal par la population sous le regard impuissant des forestiers. Et pourtant, l’article 41 de la loi n° 2002-16 du 18 octobre 2004 portant régime de la faune en République du Bénin indique : « Pour la protection des personnes et des biens, les conditions d’élimination ou d’éloignement des animaux causant des dommages seront définies par les textes d’application de la présente loi ». Même si, nous n’avons pas sous la main les textes d’application de ladite loi, l’on sait au moins que la gestion qui a été faite du cadavre de l’éléphant n’est pas des plus orthodoxes.
L’homme condamné à vivre avec la nature
Avec l’incident de cet éléphant qui a  causé la mort de plusieurs personnes et des dégâts matériels, il est de bon ton que des conclusions soient tirées à propos de la cohabitation entre les populations et les pachydermes. En effet, cette divagation récurrente des éléphants est un signe de la dégradation de leurs écosystèmes. Les populations en quête de terres pour l’exploitation agricole occupent les voies qu’empruntent ces animaux depuis des millénaires. « Nous avons deux groupes d’éléphants. Il y a ceux qui sont dans le parc qui n’aiment plus sortir puisque moins embêtés à l’intérieur. Il y a d’autres groupes que nous soupçonnons de quitter le Nigéria. Ils quittent l’Est dans la zone des trois rivières. Ces éléphants n’ont pas pu rejoindre encore le parc. C’est lors de leurs mouvements vers certainement le parc que nous avons les problèmes que vous évoquez. Certaines personnes inexpérimentées veulent jouer avec ces éléphants comme d’autres groupes qui quittent le parc et qui sont moins agressifs », expliquait Dr Félicien Amakpé, Commandant des Eaux, Forêts et Chasse, il y a quelques mois au quotidien Fraternité.
A partir de  ces explications, il y a lieu  de préserver l’habitat de ces animaux sauvages. « Un animal sauvage qui traverse une route on le provoque mais soyons sûr qu’en voulant réagir, ça ne sera pas sans dégâts » a expliqué le directeur de Nature Tropicale Ong. Joséa Dossou Bodjrènou appelle à plus de sensibilisation à l’endroit de la population condamnée à vivre en coopérant avec la nature. Le professeur en climatologie, Michel Boko pense aussi qu’il est nécessaire d’approfondir la réflexion. « Il s’agit de changer de modèle de gestion des ressources naturelles. On ne peut pas vouloir  une chose et son contraire. Nous ne pouvons pas continuer à célébrer nos réussites en termes de superficies emblavées et penser que les animaux sauvages peuvent être sauvegardés pour promouvoir le tourisme. Il faut choisir. C’est l’homme qui agresse les bêtes en détruisant leur habitat ! Des pays hyper industrialisés comme les USA ont su conserver des parcs naturels. Notre gestion des écosystèmes naturels est incohérente. On veut avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière. C’est impossible » a-t-il réagi sur les réseaux sociaux.
Le Bénin qui s’est doté depuis 2005 d’une stratégie nationale de conservation de l’éléphant et conformément aux prescriptions de sa constitution relative à la conservation de l’environnement devra s’investir davantage pour une gestion rationnelle de ses ressources naturelles. Cela en vue d’honorer ses engagements à l’international à travers la ratification des accords et traités internationaux à propos de la protection de l’éléphant. Il s’agit entre autres de la convention sur le commerce international des espèces de faunes et de flore menacées d’extinction, la Citès, (Convention de Washington, 1973), la convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (Convention de Born, 1979) ou encore la convention sur la lutte contre la désertification (Rio, 1994).
Rudolf Sessinou